Aux origines
Il y a la langue grecque, ses sonorités, sa musique à la fois rauque, sensuelle et éclatante,
à l'image des chansons d'Angélique Ionatos
pas très éloignées d'une Cesaria Evora ou d'un Buenavista Social Club
une musique imprégnée de poésie, de tragédie, de mer, de vent, de résistance avec,
toujours,
un rire empreint de lumière
la langue d'Homère, celle d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide
puis des poètes grecs contemporains qui puisent aux racines antiques pour mieux lire la Grèce de leur temps,
et, parmi ces poètes,
celui à qui je dois un véritable coup de foudre
après Rimbaud qui fut ma première révélation et son poème en prose "Aube" quand j'avais 15 ans
Elytis
ce fut une vraie lumière un vrai bouleversement
de ceux qui élèvent et nous font dire
"c'est ça, c'est vers ça que je dois aller, c'est là que je veux me rendre même si je dois marcher toute ma vie pour cela"
alors on avance le pas plus léger vers l'inconnu
on se laisse prendre on lance la barque et on verra bien
qu'importe si ça tangue, si ça se renverse, si on manque de se noyer
on a touché du doigt l'essence des choses
puis il y a la Grèce
ses oliviers d'argent sa montagne rude qui plonge dans les eaux sa mémoire qui fait pousser des colonnes au milieu des broussailles
son soleil aride le soleil d'une Phèdre sans fard
et le coeur qui a battu longtemps aux traductions des Anciens
Il y a eu
aussi
la langue magnifique de Racine
la passion faite diamant
Il y a, enfin, Iphigénie
celle qui palpite en chacun de nous
l'enfant digne l'enfant libre et rebelle à certains cadres qui éloignent de la force d'amour et de curiosité pour le monde
Elle est née voilà 10 ans, presque jour pour jour,
c'est une boucle qui se boucle
écrite dans ce lycée où j'ai enseigné avec plaisir tout en rêvant à des contrées lointaines qui me faisaient de l'oeil et qui ont fini par avoir raison de ma raison
aujourd'hui
de ces contrées qui n'en ont pas fini de m'appeler
je repense à celle que j'ai été à cette époque
avec tendresse
et je mesure le chemin parcouru depuis
à quel point il est bon de vivre et de marcher
à quel point il est bon de grandir
à quel point il est bon de s'ouvrir aux rencontres
à tout ce qui peut surgir sans crier gare
ce n'est pas sans émotion que j'ai assisté à son accouchement en voyant,
avec bonheur,
ces jeunes comédiens lui donner chair
un peu comme le baiser du prince réveille une belle au bois dormant endormie pendant dix ans dans ses cartons
aujourd'hui je tiens à dire merci
merci à Vincent Rivereau pour m'avoir fait cet inoubliable cadeau
merci aux jeunes comédiens talentueux qui m'ont fait confiance et ont fait vivre toutes ces images que j'avais dans la tête
j'espère que ces photographies rendront compte de leur sensibilité et de leur beauté
pour m'avoir offert ce moment de grâce qui vaut toutes les routes sillonnées jusque là
en hommage à toutes les Iphigénies qui sommeillent en chacun de nous et cognent à la porte quand on oublie de les entendre
en hommage au mouvement, à la danse et à la musique qui font notre chair
et pour que ces jeunes n'oublient jamais d'être eux-mêmes
dans le plaisir d’être et d’apprendre
Véronique Dimicoli